L’indemnisation sous forme de capital
Les juges du fond sont libres de déterminer l’opportunité de verser la réparation du préjudice corporel sous forme de rente ou de capital.
Afin de garantir une forme de sécurité financière à la victime, les juridictions pourraient être tentées de faire droit à la demande croissante des assureurs de verser les indemnités sous forme de rente alors que la situation de la victime justifie bien souvent qu’elle perçoive son indemnisation sous forme de capital afin d’assurer la réparation intégrale de son préjudice corporel.
En effet, le choix du versement des indemnités sous forme de capital se justifie :
- Au regard du principe de libre disposition des fonds ;
- Comme permettant de mettre en place un projet de vie ;
L’allocation des indemnités sous forme de capital permet à la victime de réaliser un projet de vie comme l’achat d’un bien immobilier désormais rendu impossible par suite de l’incapacité à obtenir un prêt bancaire compte tenu de la non assurabilité des victimes en situation de handicap et sans emploi du fait de l’accident.
- Parce que la fiscalité des rentes est défavorable aux victimes ;
Sauf exception et situation de handicap supérieur à 80%, l’ensemble des rentes sont soumises à l’impôt, y compris la rente tierce personne.
- Parce que les seuls indices d’indexation des rentes ne garantissent plus la réparation intégrale du préjudice ;
L’indice INSEE de revalorisation des rentes a connu une évolution inférieure à celle du SMIC : entre 1985 et 2012, les rentes indexées sur l’indice légal ont progressé de 74,90 %, tandis que le SMIC a quant à lui augmenté de 142,63 %.
- Parce que la rente est souvent lésionnaire du patrimoine de la victime ;
Indemniser une perte de gains professionnels future sous forme de rente, c’est assujettir à la durée de cette rente, la durée de vie non pas d’une personne ordinaire mais d’une victime présentant souvent un handicap permanent. Or, une victime handicapée, surtout lourdement, a une espérance de vie moindre qu’une personne sans handicap. L’assureur a donc de fortes chances de verser in fine un capital nettement moindre que celui imposé par le principe même de la réparation intégrale qui commande de replacer la victime dans la situation qui aurait dû être la sienne en l’absence d’accident et donc face à une mortalité ordinaire.
- Afin de garantir l’indépendance complète de la victime vis-à-vis de son régleur.
Au-delà de l’apaisement psychologique généré pour la victime, cela permet de la mettre à l’abri d’une éventuelle cessation des versements de la part du payeur.
Sur le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 à taux -1%
Il appartient ensuite au juge de définir le juste capital qui tend à représenter le plus exactement possible la valeur du préjudice futur, lequel ne peut se déterminer que par un calcul actuariel fondé sur différents paramètres généralement présentés sous forme de tableaux dits barèmes de capitalisation.
D’année en année, la plupart des juridictions ont choisi d’utiliser le dernier barème de capitalisation de la Gazette du Palais considérant qu’il était fondé sur la mortalité officielle la plus récente et sur un taux de capitalisation actualisé (déterminé en fonction du taux de placement et de l’inflation).
Les assureurs revendiquent l’application du barème de capitalisation BCRIV lequel utilise les variables suivantes :
- Un taux d’intérêt à l’échelle européenne non à l’échelle nationale, ce qui introduit nécessairement un aléa et ne correspond pas à la situation des victimes en France ;
- Une espérance de vie selon les tables de mortalité de l’INSEE 2010-2012, ne correspondant donc pas à un critère actualisé ;
- Un taux d’inflation passé, historiquement bas, ne correspondant en rien aux projections économiques actuelles ;
- Une courbe de taux limitée par principe à 0% alors qu’en fonction de la conjoncture économique, un taux négatif doit pouvoir être envisagé.
Il apparait ainsi que BCRIV ne peut être retenu dans l’objectif d’assurer la réparation intégrale.
C’est d’ailleurs au regard de ces considérations que les juridictions ont choisi d’appliquer le barème de capitalisation de la Gazette du Palais considérant qu’il est le plus adapté pour assurer la réparation intégrale du préjudice pour le futur en ce qu’il prend en compte les tables de mortalité INSEE les plus récentes et qu’il intègre l’inflation anticipée ainsi que le choix que doit faire la victime de placements sûrs et sans risques.
A partir du moment où la méthodologie de calcul proposée par la Gazette du Palais est validée, il n’y a aucune raison de ne pas appliquer le barème le plus récent, lequel permet de prendre en compte précisément l’ensemble des données socio-économiques actualisées permettant au capital d’assurer la réparation intégrale du préjudice futur.
Le nouveau barème de capitalisation publié en 2022 propose un taux à -1% avec une variante à taux 0%, laissant aux utilisateurs la faculté de choisir ce taux en fonction du contexte économique.
Pour déterminer le taux du barème, il faut soustraire le taux d’inflation du taux de placement.
Or aujourd’hui, le contexte d’inflation majeure, même face à la remontée des taux de placement, doit conduire à retenir un taux d’actualisation négatif comme celui permettant d’assurer la meilleure réparation intégrale.
En effet, pour contrecarrer l’inflation, le prix de l’euro de rente doit nécessairement être supérieure à l’espérance de vie, conduisant à taux négatif.
C’est pourquoi, le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 au taux -1% apparaît comme le meilleur outil pour assurer la réparation intégrale du préjudice des victimes.