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Accident de tramway : la Cour de cassation confirme son interprétation extensive de l’application de la loi de 85

Par un arrêt en date du 21 décembre 2023, la 2e chambre civile est venue confirmer son interprétation extension de l’application de la loi du 5 juillet 1985 en matière d’accident impliquant un tramway en jugeant que fait une exacte application de l’article 1er de la loi de 85, la cour d’appel qui juge qu’un tramway ne circulait pas sur une voie de circulation qui lui était propre dès que cette voie n’était pas isolée du trottoir qu’elle longeait.

Le Cabinet, qui avait porté le pourvoi de cette victime, se réjouit de cette interprétation dégagée par la Cour de cassation, en ce qu’elle a permis à cette jeune victime de bénéficier du régime protecteur de la loi de 85 alors que le droit commun n’aurait pas permis d’assurer la réparation intégrale de ses préjudices.

Les faits

Un mineur de quinze ans marchait sur un trottoir le long de la voie de circulation du tramway. En perdant l’équilibre, il heurta le tramway qui arrivait, ce qui provoqua sa chute sur les rails et des blessures importantes.

Rappel des principes légaux et jurisprudentiels

Les dispositions du chapitre 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, sont applicables, selon l’article 1er de cette loi, aux victimes d’accidents dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

Ainsi, l’accident dans lequel est impliqué un tramway relèvera tantôt de la loi de 1985, tantôt du droit commun de l’article 1242, alinéa 1, du Code civil. L’enjeu est crucial, car dans le second cas, le responsable pourra tenter de s’exonérer en invoquant la cause étrangère ou la faute de la victime, exonération qui sera totale lorsque ces faits présenteront les caractères de la force majeure.

Trois règles ont été dégagées par la jurisprudence pour apprécier la notion de « voie propre » :

  1. L’endroit exact de l’accident est déterminant car sur un même parcours le tramway empruntera tantôt des voies propres tantôt des voies partagées ;
  2. Lorsqu’une intersection est ouverte aux différents usagers de la route, la voie n’est pas propre aux tramways. NB : ce qui diffère des accidents impliquant des trains puisque la Haute cour considère que même à un passage à niveau, un train circule sur une voie qui lui est propre ;
  3. En dehors des carrefours, la voie est « propre » lorsque les autres usagers de la route ne peuvent pas l’emprunter. Reste à définir avec précision cette notion. Tel était l’objet du pourvoi.

La question

Qu’est-ce qu’une voie propre au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ?

En l’espèce, la société exploitant le tramway et son assureur soutenaient qu’il n’est pas nécessaire, « pour qu’une voie soit qualifiée de propre au tramway, qu’elle soit surélevée ou séparée des autres voies par des éléments infranchissables ». 

La réponse de la Cour

La Haute Cour souligne que chaussée litigieuse était divisée en trois voies, sans marquage au sol, dont deux voies ferrées contiguës empruntées par le tramway, non surélevées, et une voie à sens unique pour les autres véhicules, qui était longée de part et d’autre par un trottoir bordé de plots alternant avec des barrières. 

Pour juger que la cour d’appel avait constaté, par motifs adoptés, qu’à l’endroit du choc, aucune barrière ne sépare la voie de tramway du trottoir duquel la victime a chuté et que la hauteur de celui-ci ne permet pas de délimiter cette voie.

En conséquence, la 2e chambre civile a jugé que la cour d’appel avait exactement retenu qu’à l’endroit du choc, la voie de tramway ne lui était pas propre en ce qu’elle n’était pas isolée du trottoir qu’elle longeait et en a déduit, à bon droit, que la loi du 5 juillet 1985 s’appliquait à l’accident. 

Les circonstances de cette affaire soulignent le rôle décisif des barrières, car dans ce cas précis, la victime a perdu l’équilibre avant de chuter sur les rails, chute qui aurait été évitée en présence de barrières. 

C’est pourquoi la Cour de cassation conclut que pour qu’une voie soit considérée comme propre, elle doit être « isolée du trottoir ». 

Cette clarification significative doit être entièrement approuvée. Sans cet isolement par l’effet des barrières, il serait difficile de comprendre pourquoi le responsable pourrait échapper au régime spécial de la loi de 1985, car le tramway est similaire à tout autre véhicule circulant en ville comme un bus. 

La Cour de cassation confirme ainsi le sens de sa jurisprudence traditionnelle en restreignant de manière considérable l’exception prévue à l’article 1er de la loi de 1985 afin de permettre aux victimes une juste et intégrale indemnisation de leur préjudice.

Civ. 2e, 21 déc. 2023, n°21-25.352